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La Chapelle de la Chantoire

Quelques autres chapelles de moindres importances jonchaient les chemins et sentiers qui peuplaient la région stembertoise d'antan.

En 1255, deux religieux vinrent s’installer dans le Val Sainte Anne, nommé comme l’oratoire construit sur une terrasse dominant la grotte. La fondation de la Chapelle Sainte Anne semble dater du XIIIème siècle. Elle fut construite sur une colline dans laquelle se trouvait une grotte appelée « La Chantoire » ou « Trou des Sottais ».

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Au début du XVème siècle, en 1435, la chapelle fut relevée de ses ruines par les habitants de Verviers, à l’intention du clergé séculier, et grâce aux libéralités des riches drapiers verviétois. A longueur, d’année, toujours gardée par un ermite, elle recevait la visite de nombreux fidèles et fut ainsi fréquentée jusqu’au début du XIXème siècle. Ce ne furent pas moins de 35 ermites qui occupèrent le site jusqu’en 1810. La nef de cette chapelle abritait un autel et quelques sculptures.

Peu après la création de la paroisse de Stembert, le revenu de l’ermitage Sainte Anne et l’obligation d’y assurer le culte furent attribués à la cure de Stembert. Cet ermitage, souvent occupé par un religieux de l’ordre hutois des Croisiers, consistait en une bâtisse de pierres calcaires, d’une enceinte, d’un enclos, d’un logement et d’une chapelle. Cette bâtisse dominait la falaise rocheuse, juste au-dessus du « Trou des Sottais ».

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Au hasard d’une Foire du Livre, un ouvrage avait attiré notre attention car il traitait de la Chapelle de la Chantoire ainsi que du trou des Sottais, écrit par M.J. Levaux en 1888 et intitulé : « Monographie de l’Ermitage du Val Saint-Anne ». Nous avions publié une édition spéciale de notre « novê LEÛP » en juillet 2012 dont voici l'intégralité du texte :

LA CHANTOIRE ET LE TROU DES SOTTAIS :

A une demi-lieue de Verviers, de la route qui conduit à Limbourg par la vallée de la Vesdre, le voyageur aperçoit au flanc d’une colline les ruines pittoresques de la Chapelle de la Chantoire. Elles dominent un groupe de rochers naissant presque à mi-côte et s’inclinant vers le lit de la rivière. De l’antique oratoire, naguère encore debout, il ne reste que des pans de murs déchirés, quelques traces de fenêtres ogivales, et un amas de décombres dont la main du temps détache chaque jour les dernières pierres. Une sorte de plate-forme, solidement assise sur un soubassement en moellons, précède et supporte les constructions ébranlées.

Un tapis de lierres et d’autres plantes grimpantes recouvre agréablement ces ruines, et leur prête plus de charme et de poésie : ici, ils encadrent les baies d’un rideau de verdure ; là, ils retombent d’une aspérité en gracieux festons ; partout ils dissimulent sous la jeunesse de leur feuillage les rides du vieux monument, et soutiennent de leur vigoureuse ramure ses antiques murailles vermoulues.

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Un peu plus bas, toujours sur la côte et dans le vif des bancs de calcaire qui forment à cet oratoire une sorte de piédestal, s’ouvre une caverne dont un chêne masque l’entrée : c’est une grotte naturelle, que les gens du pays ont surnommée le Trou des Sottais.

 

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Après s’être arrêté avec délice sur ce paysage, le regard embrasse un panorama plus vaste et non moins admirable. Plantée sur toute sa surface de beaux arbres et de taillis épais, la colline de la Chantoire s’élève d’abord en pente douce pour se développer en un plateau verdoyant qui se prolonge vers les hauteurs de Bilstain. Par-delà le Val de Halmonster, une gracieuse villa émerge du sein des grands parcs : C’est la Villa des Croisiers. Elle a conservé le nom des chevaliers-religieux qui, à ce que l’on croit, eurent jadis quelque propriété dans les environs. Vers l’ouest, abritant le centre industrieux de Renoupré, cette montagne, l’une des plus belles de Verviers, élève vers le ciel ses flancs dénudés et abrupts ; une couronne d’arbres les surmonte, au milieu desquels apparaît la tourelle crénelée de Hombiet.

Le pied du bois de la Chantoire est baigné par les eaux de la Vesdre, qui coule à cet endroit sur un lit rocailleux et très irrégulier. C’est dans la mystérieuse demeure des Sottais et dans les ruines de la chapelle et de l’ermitage de la Chantoire que nous voulons pénétrer.

Que ne pouvons-nous recueillir un à un les souvenirs que chaque siècle y a laissés en passant, et qui ne nous sont parvenus la plupart, hélas ! que mutilés ou incertains, assez nombreux néanmoins pour nous permettre d’en saisir le fil et de reconstituer une histoire.

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LA GROTTE DES SOTTAIS :

Un petit sentier escarpé nous conduit, en serpentant au milieu des taillis qui bordent la Vesdre, jusqu’au-devant de l’ouverture du Trou des Sottais.

L’entrée, plus large que celle de la grotte de Tilf et d’un accès beaucoup plus facile, est tout inondée de clarté. La fraîcheur du souterrain invite le touriste brûlé des feux du soleil à s’avancer ; d’ailleurs, nulle frayeur ne le saisit dès le premier pas. Nous entrons.

Dans la direction de Nord-Ouest, s’ouvre une galerie élevée, assez régulière, qui monte graduellement. Le sol en est argileux et détrempé par les pluies d’orage qui s’infiltrent à travers la montagne.

Suivons ici la description très exacte de M. Toussaint Britte, chef-fontainier de la Ville de Verviers, qui explora la grotte à différentes reprises. Nous nous écartons rarement de son récit et nous ne l’interrompons que pour y ajouter nos observations personnelles :

« A droite et à gauche, écrit-il, les parois ont nettement conservé les érosions produites par les eaux de la Vesdre, qui s’y précipitaient autrefois. La voûte présente quelques ouvertures donnant accès à d’étroites galeries qui pénètrent bien avant dans les flancs calcareux de la colline, sans toutefois aboutir à aucune salle. Arrivés à cent pas de l’entrée, nous rencontrons une courbe où la galerie se rétrécit notablement pour s’enfoncer, plus sombre encore, avec une légère pente, à l’intérieur de la roche, en prenant l’aspect d’un étroit couloir ».

Au moment où nous tournons ce coude, le jour disparaît pour faire place à une complète obscurité ; les aspérités de la voûte, qui s’abaisse jusqu’à hauteur d’homme, gênent déjà la marche, et la sensation de froid humide, succédant à la chaleur extérieure, saisit nos membres.

L’avenue que nous suivons traverse bientôt une petite salle. C’est la Salle aux Eboulis, dans laquelle il importe de faire halte. L’inspection des parois latérales fait aisément découvrir à gauche une ouverture inaccessible en apparence. Pour y monter, nous devons nous cramponner à des arêtes incertaines, et, suspendus au-dessus des rocs amoncelés, grimper une pente glissante où l’on a peine à se maintenir, en s’accrochant aux entailles faites çà et là par une main prévoyante. La terre et le roc, recouverts par un enduit de calcaire brillant, forment comme une nappe « dont les cristallisations représentent assez bien une coulée de lave ».

Des excavations plus petites s’enfoncent de distance en distance le long de ce passage dangereux. Enfin le couloir se divise en deux embranchements : celui de gauche, assez large, s’élève brusquement, se développe quelques mètres encore, puis s’arrête au roc. A droite, s’ouvre un conduit bas et étranglé qu’on croirait d’abord impénétrable, mais on peut s’y glisser en se couchant à plat ventre et en rampant péniblement sur le sol limoneux.

C’est par là que l’on pénètre dans la petite salle où M. Britte s’est vu, suivant son propre récit, sous le coup des impressions terrifiantes qu’il décrit ainsi :

« Dans cet antre profond, où l’on ne perçoit que le pétillement de la torche qui se consume et le bruit saccadé des respirations devenues haletantes, on entend tout-à-coup un grondement sourd, semblable à une vague rumeur, qui graduellement s’élève en des intonations violentes, analogues à celles que produirait un effondrement gigantesque, dont le vacarme se répercuterait avec fracas dans les couloirs.

Terrifiés et immobiles, l’imagination délirante, on se regarde avec angoisse. Les couloirs sont-ils obstrués par un éboulement ? Est-ce un torrent souterrain qui se précipite dans les galeries ? Heureusement, le bruit disparaît, au bout de quelques instants, nous laissant sous le coup d’impressions dont le souvenir restera toujours vivace à l’esprit.

Car, en ce moment, l’imagination frappée crée tout un monde fantastique. Il nous semble voir des farfadets grimaçant dans l’ombre, ou des fantômes, drapés dans de longs manteaux, se dissimulant sournoisement derrière les rocs ».

Sans éprouver ces poétiques délires d’imagination, nous avons néanmoins très distinctement perçu le bruit du train courant le long des flancs de la montagne, bruit sourd que prolongent en effet les échos de la grotte, et dont le roulement, puissant d’abord, s’éteint par degrés dans ces demeures mystérieuses.

La salle où nous nous trouvons en ce moment est comme une large excavation ; l’air y paraît plus rare et même un peu vicié. Avant de la quitter baptisons-la du nom de Salle aux Illusions.

Une fissure en déchire le fond et livre à grand-peine passage à un homme. Ce n’est qu’en rampant et en s’écrasant entre les deux parois, qu’on peut introduire la tête dans une loge très enfoncée.

Tout en haut, on découvre l’intérieur d’une tour circulaire ; elle se termine en un joli dôme d’où retombent de brillantes cristallisations capricieusement tordues.

Sur la droite de la loge naît un autre couloir, bientôt obstrué, qui ne donne communication avec aucune galerie.

Nous descendons de cette région supérieure, et nous sortons de la Salle aux Illusions ; puis, à reculons, par le chemin glissant de la nappe artificielle, nous regagnons la Salle aux Eboulis. Ici nous reprenons la grande avenue que nous avions abandonnée.

Après un court trajet, nous voici devant un amas de terre, remblai informe qui obstrue le passage.

Aurions-nous forcé le dernier repaire des Nutons de la légende ?

Beaucoup d’explorateurs plus curieux que hardis l’ont cru. Il y a quinze ans, nous l’avons cru nous-même.

« Mais en élevant la torche pour examiner la voûte et chercher de nouvelles issues, on est épouvanté en apercevant, juste au-dessus de sa tête, une énorme pierre d’environ quatre mètres cubes enclavée si légèrement entre les deux parois, qu’elle semble vaciller quand on la touche de la main.

Ainsi suspendue à deux mètres de hauteur, elle menace d’écraser dans sa chute l’imprudent visiteur qui voudrait pénétrer plus loin dans cet antre souterrain.

Un examen minutieux des contours de cette pierre vous fait découvrir un passage dissimulé et tout à fait en-dessous de son énorme masse ».

Il y a deux moyens de tenter l’escalade de ce quartier de roche. Ou bien on se glisse sous cette masse qui semble défier toutes les lois de l’équilibre, et, par un passage étroit, s’aidant de chaque aspérité, on atteint promptement le haut ; ou bien le visiteur se suspend au flanc du roc, et, à la force des poignets, se hisse jusqu’au sommet.

« Du haut de cet énorme bloc, le couloir qu’on vient de quitter vous apparaît, alors, à la lueur de la torche, comme un gouffre béant. On est surpris de voir qu’une seconde galerie commence à cette plate-forme pour se diriger vers l’ouest ».

Elle conduit à la Salle Sauvage.

« Parmi les blocs enchevêtrés qui en forment le sol, on rencontre plusieurs trous qui s’enfoncent verticalement, et en faisant grande attention on entend distinctement le bruit d’une chute d’eau en-dessous de ces éboulis ».

Nous n’inclinons pas à croire avec M. Britte que les entrailles de la montagne recèlent un véritable cours d’eau. Le bruit n’est-il pas suffisamment expliqué en l’attribuant aux eaux de pluie qui s’infiltrent en grande quantité, surtout à certaines époques de l’année, dans les crevasses des rochers, et tombent lentement dans des profondeurs ignorées ? Un ruisseau se déverserait nécessairement dans la rivière ; or, nous n’avons remarqué nulle part les traces de son passage.

Quant à la supposition qui veut que, « en-dessous de ces pierres, la grotte se continue et s’agrandisse », nous ne sommes pas portés à l’admettre. « Si vous approchez d’une de ces ouvertures la flamme de la torche, ajoute comme preuve l’auteur de Verviers souterrain, vous la verrez vaciller sous l’impulsion d’un léger courant d’air. »

Mais cet argument a-t-il assez de force pour légitimer à lui seul la conclusion ?

On a observé qu’un courant se produit parfois aussi devant des galeries sans issue, et on l’explique par le déplacement d’air que causent les visiteurs.

Le point capital serait de savoir si le courant est permanent.

Que le Trou des Sottais se prolonge, c’est une croyance générale que nous n’avons pas à examiner. Constatons cependant que, d’après l’une et l’autre opinion, la grotte se prolonge dans des directions différentes. Le vulgaire croit en effet qu’elle s’étend vers le Nord, suivant le cours de la Vesdre et la courbe de la montagne, et allant ainsi à la rencontre de la grotte de Belvaux.

Quoi qu’il en soit de ces hypothèses, visitons rapidement la Salle Sauvage.

C’est ici que s’offre l’image la plus complète de ce bouleversement et de ce pittoresque sauvage qui fait l’attrait de notre expédition souterraine.

Les quartiers de roche renversés pêle-mêle sur la terre éboulée, les profondes excavations du sol et des parois, une voûte menaçante d’où des pierres énormes terminées en pointes paraissent prêtes à s’élancer, des bruits lointains et confus pareils à des murmures, tout cela porte jusqu’au fond de l’âme du touriste je ne sais quelle impression étrange de mystère et d’effroi.

Si, du trou qui donne accès dans cet antre, on projette la lumière d’une torche sur la voûte, le visiteur resté à l’angle le plus élevé admirera quelques effets d’ombre assez bizarres pour mériter l’attention. Nous avons du reste, en différents points de la grotte, allumé des feux de Bengale ; et c’est certes à cet endroit que l’effet des colorations a été trouvé le plus beau, et que le souterrain a revêtu les aspects les plus particulièrement mystérieux et saisissants.

Le sol que nous foulons ici n’est qu’une couche épaisse d’argile dont le pied a peine à se détacher.

Nous redescendons enfin de la Salle Sauvage par le difficile passage du roc suspendu. Dans la paroi ouest, M. Britte a remarqué encore « une ouverture d’environ 60 centimètres sur 35, qui est, pour ainsi dire, l’entrée d’une cheminée s’élevant presque verticalement ; le fond en est généralement rempli d’une boue épaisse.

Une certaine audace est nécessaire pour s’aventurer dans ce boyau, car il faut d’abord ramper dans cette boue jaunâtre, puis se redresser et grimper en s’accrochant aux inégalités que présente cette cheminée jusque environ trois mètres de hauteur. Arrivés en haut, nous sommes amplement dédommagés des efforts que nous venons de faire, car les cristallisations calcareuses qui obstruent le haut de cet étrange conduit représentent à peu près une pagode indoue.

A côté de la pagode s’ouvre une galerie qui mène à une petite salle communiquant avec la cave de la Chantoire par une galerie obstruée depuis quelques années seulement ». L’exploration est achevée : nous avons visité tout ce qu’il y a d’accessible.

A vrai dire, nous n’avons pas eu la bonne fortune de contempler des dômes aux ciels élevés, ou des salles aux formes fantastiques et grandioses ; ni de hardies arcades aux reflets étincelants, ni de vastes forêts de stalactites et de stalagmites ; encore moins, faut-il le dire :

De grands sphinx, des griffons

Projetant des regards longs et mélancoliques

Sur des dieux monstrueux aux costumes bouffons.

Du moins, nous connaissons la demeure souterraine à laquelle se rattachent mille croyances populaires et mille contes vieillis.

Au commencement du siècle, Detrooz décrivait ainsi le Trou des Sottais : « Vous marchez deux cents pas dans cette caverne ; après quoi, en vous traînant la distance de cinq à six pieds sur le ventre, vous arrivez dans des espèces de salles, qui semblent avoir été pratiquées expressément pour être habitées. On trouve dans une de ces places une très bonne fontaine d’eau douce ».

L’auteur des Notices historiques sur le pays de Liège parle à son tour « d’une grande salle qui communiquait avec d’autres chambres ou excavations au nombre de sept… La plupart des visiteurs s’arrêtaient volontiers dans la grande salle, où il y a une source d’eau claire et limpide et très agréable au goût ».

A en juger par des descriptions de nos historiens, les éboulements et les infiltrations ont considérablement modifié, en moins d’un siècle, l’aspect du souterrain. Quant à la fontaine, elle échappe aujourd’hui aux recherches des explorateurs. A l’inspection des parois latérales, qui conservent encore la trace profonde des érosions personne ne peut douter que les eaux n’aient jadis envahi la Grotte des Sottais.

D’où venaient ces eaux ? Voilà ce que les investigations de la science mettront un jour, il faut l’espérer, en pleine lumière. Plusieurs ouvrages sur Verviers et ses environs adoptent l’opinion d’après laquelle les eaux de la Vesdre auraient suivi jadis la grotte de la Chantoire. Mais comment expliquer que la rivière ait changé son cours ? Il faudra admettre qu’en des temps très reculés il s’est produit un ébranlement dans la partie inférieure de la colline des Surdents  et que le sol s’est disloqué et soulevé sur un espace d’une petite demi-lieue.

La Vesdre, ne trouvant plus alors son entrée naturelle dans les flancs du roc, aurait porté ses eaux dans la vallée des Surdents, et, baignant le pied de la montagne, aurait enfin repris son cours interrompu, à l’endroit où jadis elle sortait de la grotte.

L’étude du lit de la rivière en deçà de Nasproué et en face de la chapelle Sainte-Anne et la comparaison des couches du sol avec celles des rochers ébranlés doivent amener les géologues à des conclusions positives, et, peut-être indiscutables, sur cette grave question.

La grotte a-t-elle été habitée ? Nous n’avons découvert à l’intérieur aucun indice qui accusât le séjour de l’homme.

« Si l’on en croit la tradition, raconte Detrooz, les premiers habitants de ce canton en ont fait leur demeure avant d’avoir bâti leurs maisons ; elle leur a, sans doute, souvent servi de refuge, pendant les guerres barbares qui se firent du passé ».

Il nous paraît assez vraisemblable que les habitants de la vallée y aient momentanément cherché un abri, à l’époque des invasions. C’est là, selon certaines conjectures, que les gens de Franchimont, traqués de village en village, se cachèrent pour échapper à la vengeance de Charles-le-Téméraire. C’est là aussi peut-être que, deux siècles plus tard, vinrent se réfugier les nombreux Limbourgeois qui fuyaient les armées du prince de Condé et les horreurs du siège.

« Cette caverne, impénétrable aux yeux par les bois qui l’offusquaient, et environnée de précipices, était le refuge le plus assuré que l’on pût choisir. Combien de fois n’a-t-elle pas été aussi l’asile de voleurs et de brigands ? ».

On ne l’ignore pas, l’imagination ou la crédulité de nos pères peuplaient à l’envi leurs habitations de lutins, les ruines de revenants et les cavernes de nutons.

Dans tout le pays wallon, se racontent encore, à la veillée, des histoires de Sottais.

Petits hommes,

Venus avant le Christ au pays où nous sommes,

et qui vivaient sous terre en trous noirs et profonds.

Selon la croyance vulgaire, ils étaient très petits de taille ; une longue chevelure retombait sur leurs épaules, et ils avaient toujours la mine avenante. « Ces nains étaient très habiles dans l’exercice de divers métiers ; et, lorsque les habitants du pays désiraient les faire travailler pour eux, ils devaient déposer l’ouvrage à l’entrée de la grotte avec un pain ou d’autres substances alimentaires ».

Nous-même, au cours de nos recherches sur la Chantoire, nous avons recueilli à leur sujet plusieurs légendes de la bouche des vieillards. Stembert a été notre source la plus riche. Apparemment les visites fréquentes de Sottais aux habitants du village, les aventures merveilleuses de la Xhavée, des Surdents et de Bronde ont imprimé plus profondément leur souvenir dans les esprits ! Il ne peut entrer dans notre dessein de refaire au lecteur tous ces contes étranges.

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LA CHAPELLE DE LA CHANTOIRE (description datant de 1888) :

Si l’on gravit le sentier rocailleux qui longe les fondements de la chapelle de la Chantoire, on arrive à une petite porte cintrée. Elle s’ouvre sur une cave dont la voûte soutient le chœur et une partie de l’oratoire des ruines.

Une des parois de cette place souterraine est formée par la roche nue. Au fond, se voit encore, remplie de terre éboulée, l’excavation qui communiquait jadis avec le Trou des Sottais.

Cette cave spacieuse et haute, a servi quelque temps de retraite aux derniers ermites. Trente pas plus loin, par le même sentier, nous voici au milieu des ruines vénérables.

Une chose frappe dès l’abord : c’est l’aspect désolé de l’antique oratoire. Partout, au sein des murs abattus et des débris entassés, le coudrier, l’églantier et d’autres plantes sauvages ont poussé et grandi. L’agreste végétation a incrusté ses racines jusque entre les déchirures de la pierre.

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En examinant plus à loisir, nous pouvons mieux apprécier la belle forme de ces constructions que M. Renier a décrites dans son remarquable ouvrage :

« Le vaisseau éclairé par trois fenêtres ogivales, dont une au chevet, était divisé en hauteur par une galerie à laquelle on arrivait par un porche fait de deux colonnes torses portant fronton et toiture. Par ce porche on entrait de plain-pied à la dite tribune entourant l’enceinte, et, par une disposition particulière du terrain, immédiatement en dessous du dit porche, en une sorte de grotte, se trouvait une porte souterraine donnant accès à la nef. »

A gauche de cette porte, un escalier intérieur, appuyé à la muraille, conduisait à la petite tribune ; il était éclairé par une lucarne qu’encadrent aujourd’hui les lierres touffus.

« C’était une construction solide, au plan ovale, le grand axe dirigé vers l’orient, bâtie sur la déclivité d’un groupe de rochers calcaires ».

A cause de l’inclinaison naturelle du terrain, la partie de la chapelle qui regarde Verviers était de beaucoup la plus élevée.

Un petit clocheton à jour, d’aspect gracieux, ornait l’oratoire et dépassait le sommet des chênes voisins.

D’après un rapport de 1744, le campanile était « ardoisé ainsi que le chœur, et le reste des toitures couvert de xhones ».

On y avait placé, beaucoup plus anciennement, une cloche au son argentin et perçant.

Au commencement de notre siècle, cette cloche sonnait encore l’Angelus et les quelques rares offices religieux de l’année qui s’y célébraient ; ses notes gaies saluaient l’arrivée des pèlerins de Stembert et de Verviers.

Dans l’intérieur de la chapelle tout était simple, mais propre et pieux : aucun tableau n’ornait les murs, simplement blanchis à la chaux.

« L’autel de jolie sculpture en bois, genre rocaille, provenait de l’église de Lambermont ; aux côtés on voyait les statues, demi-nature, des saints Guillaume et Arnold », dont le caractère à la fois religieux et militaire restait comme un dernier vestige du passage des Croisiers à la Chantoire.

Une belle statue de Sainte-Anne surmontait l’autel. Elle est conservée dans la collection particulière de M. Jean Renier : C’est là que nous en avons pris description.

La chantoire la statue sainte anne 02 ancienne

La chantoire la statue sainte anne 01 la vierge et l enfant

La sainte a la tête voilée de blanc à la manière juive, et une guimpe lui enserre avec grâce le col et le menton. Elle tient un fruit dans la main droite. Sur son bras gauche est assise la Vierge, encore enfant, qui semble se pencher vers le monde. Marie porte une robe constellée d’or, et une petite couronne à pointes retient ses cheveux flottants.

A chacune des parois latérales de l’oratoire, achevant de décorer le modeste autel, étaient appendues les statuettes des quatre évangélistes, taillées dans le bois et peintes de couleurs très vives.

Les évangélistes, chacun accompagné de l’animal symbolique, sont assis et tiennent en mains le stylet et le livre ; ils sont posés sur un socle que supporte une feuille d’acanthe et au rebord duquel se lit le nom du saint écrit en grands caractères. Ces sujets, bien conçus mais d’une exécution assez grossière et sans facilité, n’ont aucune valeur artistique : une peinture ingénieuse n’a pu même adoucir la roideur de leurs lignes.

Un groupe, plus intéressant au point de vue iconographique, occupait le fond de la chapelle : c’est une composition sculptée qui rappelle parfaitement le retable en bois provenant de l’église d’Auderghem, et conservé aujourd’hui au Musée royal d’antiquités à Bruxelles.

Au premier plan, sur un long banc à dossier, sont assises Sainte Anne et la Vierge Marie ; l’enfant Jésus, debout entre elles, est vêtu de la robe sans couture : son bras droit entoure le cou de sa mère, et de la main gauche il saisit le fruit que lui présente Sainte Anne.

La Vierge porte un diadème en bois ouvragé, et le manteau royal ; elle porte aussi la guimpe, signe caractéristique du temps où cette statue a été faite.

Sainte Anne paraît naturellement plus âgée ; un long voile rouge recouvre sa tête et ses épaules ; un livret ouvert repose sur ses genoux.

On aperçoit derrière ce groupe principal trois personnages, à barbe épaisse, appuyés sur le haut du siège ; ils contemplent et admirent la sainte famille. Deux de ces vieillards occupent l’angle gauche : l’un porte un bonnet de fourrure, à bords relevés ; il est revêtu d’une sorte de mantelet noir, marqué de blanc. L’autre, coiffé d’un turban oriental qu’orne un châton, est enveloppé dans un manteau rouge. Dans l’angle opposé se trouve un moine : il soutient sa robe blanche de la main droite ; son capuchon noir reste rabattu ; « des cheveux lui couvrent les tempes, et le sommet de la tête est nu, sauf une mèche au-dessus du front ».

Suivant M. Renier, c’est un religieux croisier, et l’homme au turban rappelle aussi les Croisades.

La croyance populaire appelait ces personnages les trois maris de Sainte Anne : dernier lambeau d’une légende accréditée à tort au moyen-âge. On affirmait que Sainte Anne avait épousé successivement Joachim, Cléophas et Salomé. Une sage interprétation des Ecritures a démontré la fausseté de cette assertion et a complètement mis à néant un conte si étrange. S’il n’est pas rare d’en retrouver encore des vestiges dans le vulgaire, c’est qu’un art, en cela peut-être moins bien avisé, s’est plu souvent à puiser ses inspirations dans les contes légendaires plutôt que dans la véridique histoire.

Assurément, l’auteur du groupe de la Chantoire a connu la légende de la généalogie de Sainte Anne ; peut-être même s’est-il inspiré des sculptures du temps qui traitent ce sujet. Nous ne sommes pas éloignés de le compter parmi les tailleurs d’image de l’école de Bruxelles.

Quoi qu’il en soit, il faut certainement rapporter cet ouvrage au XVème siècle.

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L'ORIGINE DE LA CHANTOIRE :

Quelles furent les origines de la Chantoire ? Qui fonda la chapelle et l’ermitage ? Aucun document historique n’a fourni jusqu’à présent de réponse certaine à cette question.

Voici ce que le chroniqueur Detrooz nous apprend dans son Histoire du Marquisat de Franchimont : « Au commencement du XIIIème siècle, Théodore de Celles, revenu de la Palestine, où il avait trouvé quelques religieux Croisiers institués par St-Clet, forma le dessein d’en fonder une congrégation dans le pays de Liège ; il en obtint la permission des Papes Innocent III et Honorius III ; et, de l’évêque de Liège, l’église de St-Thibault, près de Huy, où, avec quatre de ses compagnons, il jeta les fondements de son ordre, qui se multiplia bientôt. Deux de ces religieux vinrent s’établir dans la chapelle de la Chantoire, d’où le hameau voisin a pris le nom de village des Croisiers ».

Précisant la date de l’arrivée des Pères Croisiers, le savant Charles Pollet écrit : « Vers l’année 1225, deux de ces religieux allèrent s’établir aux environs de Verviers, dans une chapelle nommée la Chantoire, et située sur le sommet d’une roche élevée, dans les flancs de laquelle est creusée un long souterrain, nommé vulgairement le Trou des Sottais.

Cette chapelle avait été bâtie en cet endroit quelque temps auparavant, pour servir d’oratoire aux habitants des environs. Mais la maison qui était contiguë, et qui consistait uniquement en deux petites places obscures et humides, n’était pas suffisante pour loger les religieux. Ils se firent donc bâtir une demeure à quelque distance de la chapelle, et leur séjour en ces lieux donna naissance à un hameau qui fut appelé So lè Kreuhi, nom qu’il a conservé jusqu’à nos jours ».

« Cet établissement, continue Detrooz, ne dura qu’environ un siècle et demi, les religieux l’abandonnèrent faute de sustentation ; et comme la chapelle tomboit en ruine, et qu’il n’y restoit, pour ainsi dire, que la place, les habitants de Verviers, ne voulant pas laisser périr l’édifice, le firent reconstruire au commencement du quinzième siècle, et en firent une fondation pour deux prêtres séculiers qui fut approuvée par l’évêque Jean de Heinsberg ».

De ces deux témoignages, que n’appuie malheureusement aucun argument, se dégage une conclusion : c’est qu’il a existé un oratoire et un ermitage.

Mais quelle en est la valeur ? Nous trouvons sur ce point quelque lumière dans la charte de Jean de Heinsberg, que nous reproduirons plus loin, et où l’on parle d’une chapelle en construction placée sous l’invocation de Sainte Anne.

Or, ce document date de 1447.

D’autre part, un titre ms ; rapporte à l’année 1420 la reconstruction de l’édifice, et, dès 1426, « Johan de Nowille, manbor de Sente Anne », administre les biens et revenus de la chapelle. Quatorze ans plus tard, d’après un acte ancien, on le retrouve exerçant les mêmes fonctions. « Jehan Grasion, demeurant à Fays, lègue deux aidants de rente à l’englise de Madame Sent Anne, al Chantoir, et Johan de Nouville, mambour de Madame Sent Anne, le mayeur d’Andrimont, les metisse en warde ».

En rapprochant de ces dates celles de Detrooz et de Pollet, nous sommes autorisés à affirmer que l’antique oratoire, construit avant 1225 et abandonné vers 1380, fut bientôt remplacé par une nouvelle chapelle, et qu’ainsi le Val-Saint-Anne resta pendant quarante ans à peine privé de sa couronne.

Rien ne permet cependant d’admettre que nos pères aient construit la Chantoire pour les besoins du culte, car la vallée était inhabitée à cet endroit. Voulût-on même adopter la croyance traditionnelle et la version des manuscrits qui placent le berceau de Verviers en Crotte, on ne verrait pas encore pourquoi les habitants auraient élevé une chapelle de l’autre côté de la rivière, au fond d’un bois écarté et difficile d’accès. Aussi bien, le village primitif ne s’étendait pas jusqu’à la Chantoire, où la Vesdre coule dans une gorge étroite, resserrée entre deux montagnes.

Des recherches patientes découvriront un jour à qui il faut attribuer la fondation de l’oratoire : si c’est à la reconnaissance d’un riche fondataire en mémoire de quelque grave événement, ou à la piété des Verviétois « qui alloient y chanter les louanges du Seigneur ».

Des religieux de l’ordre de la Sainte Croix, nous venons de l’entendre, desservirent les premiers la chapelle de la Chantoire. Ils n’eurent d’abord pour logis que deux petites places obscures, que remplaça probablement dans les constructions postérieures la grande cave voûtée. L’humidité et l’insalubrité de cette demeure les déterminèrent plus tard à aller s’établir au sommet de la colline.

C’est là, assure la tradition locale, qu’il y eut jadis un couvent et une église ; et ce sont les moines qui défrichèrent les forêts voisines et fertilisèrent ce sol aride et pierreux.

Une villa qui porte encore leur nom et certaines appellations caractéristiques conservées jusqu’à nos jours aux sentiers, aux bois et aux fontaines des environs, le nom lui-même de la commune des Croisiers ont changé, dans la localité, ces croyances en conviction inébranlable.

Désireux de recueillir quelques éclaircissements sur ce sujet, nous avons compulsé attentivement les ouvrages historiographiques du pays de Liège et du marquisat de Franchimont et plusieurs anciennes chroniques : nulle part il n’est fait mention d’un monastère à la Chantoire. Le fait cependant est assez rapproché de nous pour ne pouvoir ainsi échapper à toute investigation.

Certaines fouilles pratiquées sur les lieux par la propriétaire du sol n’ont amené la découverte d’aucun vestige de vieilles constructions.

N’en était-ce pas assez, cela semble, pour rendre à nos yeux l’existence de ce couvent très problématique ?

Nous recourûmes alors à des sources plus sûres, et une grande autorité vint tout à coup nous confirmer dans une opinion que nous nous étions déjà formées depuis quelques temps.

Voici, en substance, la réponse que nous a gracieusement adressée le Révérend Père M. Janssens, supérieur de la résidence des Croisiers, à Diest.

Les Annales particulières de leur ordre donnent trois catalogues différents où sont énumérées toutes les communautés : le nom de Chantoire n’y paraît point.

Les documents publiés dans la vie des TT. RR. PP. Généraux de l’ordre de la Sainte Croix rappellent les titres de tous les couvents et de toutes les maisons établies pendant leur gouvernement, mais ils ne citent pas celui de la Chantoire.

Pour ne pas renier toutes les croyances locales et pour respecter le récit de nos historiens, nous dirons qu’il y eut au Val-Sainte-Anne comme un poste détaché d’une résidence, soumis à la juridiction du curé de Verviers, et que deux religieux seulement l’occupèrent pendant un siècle et demi : ils avaient mission de célébrer la messe et d’entretenir l’oratoire.

Vers l’année 1380, ils quittèrent le pays faute de ressources.

L’obscurité, qui entoure les origines de la chapelle primitive, recouvre aussi sa destruction et sa ruine. Mais, à défaut d’histoire, la légende peut parler ; ce n’est pas la vérité, ce n’est pas non plus d’ordinaire la fiction pure et simple.

La légende des Croisiers de la Chantoire nous a été conservée par la plume habile de M.Renier. Il ne sera pas hors de propos de la rappeler ici à grands traits.

Au retour des croisades, de pieux chevaliers s’arrêtèrent dans le vallon où jadis avait existé un village nommé Grotte. Charmés de la beauté du site et du silence des lieux, ils résolurent de s’y bâtir une commune demeure. Et bientôt « le mont fut couronné d’un nombre infini de créneaux et de tourelles, de cellules et d’oratoires ».

C’était le nouveau monastère des Croisiers. Du haut de ses tours on apercevait au loin un splendide château, assis sur un roc orgueilleux : au donjon, flottait la bannière des ducs de Limbourg, « portant d’argent au lion rampant, de gueules, armé, lampassé et couronné d’or ; ayant la queue fourche et passée en sautoir ».

A l’époque qui nous occupe, c’est-à-dire pendant la seconde moitié du XIIIème siècle, vivait dans cette forteresse le duc Henri, quatrième du nom, à la fois le plus brave et le plus sage de tous les princes de l’Europe. Son fils aîné, Adolphe, avait le caractère méchant et cruel. Chaque fois qu’il paraissait « chargé d’une sombre armure, caché sous son casque à visière hideuse », les manants fuyaient effrayés. Le prince possédait, disait-on, un précieux talisman qui donnait le pouvoir de tout soumettre à ses désirs.

Or, un jour que sire Adolphe chevauchait dans ses domaines, il aperçut une jeune paysanne d’une beauté merveilleuse. Il s’arrêta, dans une muette et douce extase. Grâce au talisman, le cœur de la pauvre fille fut conquis à l’instant.

- « Qui es-tu ? demanda Adolphe ».

- « Odette, répondit-elle ».

- « Je suis duc, tu seras mienne ! »

Et, jetant une poignée d’or aux parents d’Odette, le jeune duc s’éloigna en leur disant : « Je vous la confie … ».

De retour au château, le fils découvrit à son père ses nouveaux projets, et obtint sans trop de difficulté son consentement. Le lendemain il courut porter lui-même l’heureux message à Odette, et la convia à un superbe festin.

Cependant, après leur arrivée au pays, les Croisiers avaient établi dans le peuple certaines pratiques de piété que chacun observait scrupuleusement. C’est ainsi qu’il était d’usage, avant de s’engager dans les liens du mariage, que la fiancée passa la veillée sainte, c’est-à-dire, consacrât plusieurs heures à la prière dans le silence de l’oratoire de Sainte-Anne.

Le chevalier une fois parti, Odette s’empressa de se rendre à la Chantoire. Les portes de la chapelle se refermaient sur elle, quand, dans le lointain, retentit le son joyeux des cors qui annonçait l’approche du cortège ducal.

Sire Adolphe ne put retenir un cri de dépit en ne trouvant pas sa fiancée dans sa demeure. Impatient, il s’élance au galop de son coursier par des sentiers rocailleux et arrive devant le pieux manoir des Croisiers. Il heurte d’un rude coup de sa lance ; aussitôt de l’intérieur une voix demande :

- « Qui va là ? »

- « L’héritier du seigneur de Limbourg ! »

- « On n’ouvre pas avant l’Angelus ».

- « Rends-moi ma fiancée… »

- « Elle achève la Veillée sainte ».

- « Le duc mon père attend pour bénir notre union ».

- « Le duc votre père a toujours respecté nos lois ».

- « Et moi, s’écrie alors Adolphe avec colère, je détruirai ton moûtier, si tu n’ouvres pas sur l’heure ! »

Il ne reçut point de réponse… Alors le jeune duc, au comble de l’exaspération, repartit aussitôt vers Limbourg, entraîné par ses hommes d’armes et méditant une vengeance terrible.

Quand la nuit couvrit la sombre vallée, une troupe nombreuse s’avança en silence vers la Chantoire et vint entourer d’une ligne infranchissable l’habitation des pauvres moines.

Soudain des torches brillèrent, et l’incendie fut allumé de tous les côtés à la fois ; seule la petite chapelle fut épargnée.

En peu de temps, le monastère ressembla à un immense brasier. Cependant une tour très élevée, quoique déjà envahie par les flammes et profondément ébranlée, résistait encore aux fureurs du feu : le chef des Croisiers s’y était réfugié avec tous ses compagnons. Du haut des créneaux il aperçut tout à coup le jeune duc de Limbourg contemplant son œuvre avec une joie infernale : « Ame de fiel, lui cria-t-il, repais tes yeux de nos dernières tortures … consomme ton sacrilège ! Mais écoute ton arrêt. Toi, l’espoir d’une race illustre, tu seras maudit … ta souche va s’éteindre, et ton nom … ».

Il n’acheva pas : la tour s’écroula avec un horrible fracas, et ses vastes débris s’abattirent sur l’oratoire où Odette priait. De toutes parts les flammes envahirent la Chantoire… Tout avait péri.

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LES ERMITES DE LA CHANTOIRE :

Au commencement du XVème siècle, comme l’industrie prospérait merveilleusement, la libéralité verviétoise avait relevé la Chantoire de ses ruines, et un gracieux édifice décorait le Val Sainte-Anne. Au pied de la chapelle s’élevait une maison de modeste apparence : elle devait, dans l’intention du fondateur, servir de refuge à « des manants de Vervier et autres sujets qui soubs l’estendart de la croix désirent vivre solitaires pour, estant retirés des destourbiers de ce monde, suivre Jésus crucifié et parsuire en lui, avec plus de facilité, la volonté de son Père ».

Le premier qui prit le titre et porta l’habit d’ermite fut un certain Jean, dont parle la charte de confirmation. Il bâtit lui-même la petite demeure qui devint l’Ermitage, et il l’occupa dès 1435. A l’exemple des anciens anachorètes, il vivait d’une manière très austère : du pain, de l’eau et une maigre soupe composaient toute sa nourriture. Son temps se partageait entre le travail et la prière ; c’était à lui qu’incombait le soin d’entretenir l’oratoire.

Les ermites n’étaient pas prêtres, mais leur nomination devait cependant être ratifiée par le Grand Vicaire du diocèse. Ils portaient un habit de méchant drap brun, semblable à celui des Récollets, sauf le capuce, qui remplaçait un chapeau. Leur « octroi » était renouvelé chaque année à l’époque des fêtes de Pâques.

Le recteur au contraire était prêtre. Voici comment le fiscal du Condroz définit plus tard ses attributions : « Le curé de Stembert en est le recteur, mais non le curé ; il n’y a autorité que comme bénéficier, il en a les obligations sous la juridiction pastorale ; la Chantoire est sous l’enceinte de la paroisse de Verviers ».

Il semble naturel de croire que, dans le principe, le clergé de Verviers desservit la chapelle, puisqu’elle s’élevait sur le territoire de la ville. L’éloignement néanmoins, joint à la nécessité d’aller y dire la messe plusieurs fois par semaine, fit souhaiter pour la petite chapelle un service spécial : aussi bien, les revenus de la Chantoire suffisaient à créer un bénéfice. C’est ce qui détermina le Recteur de l’Eglise paroissiale de Saint-Remacle, Sébastien de Viseto, à présenter une requête dans ce sens au prince-évêque régnant.

Voici en abrégé traduite sur le texte latin, la charte de Jean Heinsberg, qui approuve la fondation de l’ermitage et de la chapelle et l’érige en bénéfice ecclésiastique :

« Jean par la grâce de Dieu et du siège apostolique, évêque de Liège, à tous ceux qui verront ou liront ces présentes lettres, salut dans le Seigneur ».

« D’après une supplique adressée au Pape Eugène IV, par les habitants de la cité de Verviers, le 4 septembre 1437, on a construit, dans une forêt dépendant de l’église paroissiale de la ville, un ermitage pour plusieurs solitaires ; la retraite était occupée à cette époque, déjà depuis douze ans, par Jean, homme pieux, mortifié et se livrant à une rigoureuse pénitence ; celui-ci s’est fait bâtir une petite demeure auprès de la chapelle Sainte-Anne, et a procuré les livres et les ornements nécessaires au service divin ».

« Dans la même supplique, les habitants de Verviers demandaient l’autorisation de faire à cet endroit un cimetière réservé à la sépulture de Jean et de ses successeurs, et sollicitaient la permission de célébrer dans l’oratoire la messe et les offices religieux ».

« Le Souverain Pontife avait délégué à Jean Surlet, prévôt de l’église Saint-Denis, à Liège, le pouvoir d’accorder les autorisations demandées, si la chapelle lui paraissait suffisamment dotée ; sur le rapport de la cité de Verviers, que la Chantoire possédait en biens dotaux la valeur de sept muids et six setiers d’épeautre, trois muids d’avoine, deux deniers de bonne monnaie, un chapon et un tiers de chapon ; mais que les habitants avaient du reste promis de fournir pendant quatre ans quelques rentes en plus, dont ils avaient garanti le paîment ».

« Sébastien de Viseto nous a demandé d’ériger à perpétuité la chapelle Sainte-Anne en bénéfice ecclésiastique, à charge d’y dire la messe deux fois par semaine ; le bénéfice serait conféré pour cette fois au prêtre Jean Waleran, de Limbourg. Il désirerait toutefois que le Recteur de l’église paroissiale de Verviers en conservât le patronat avec faculté de présenter toujours un homme capable pour occuper la place vacante ».

« Pour ces raisons, nous approuvons la fondation et la dotation de la Chantoire, et nous l’érigeons, en bénéfice ecclésiastique pour le clergé séculier, à condition d’y dire deux messes par semaine ; nous conférons ce bénéfice à Jean Waleran, de Limbourg, et nous investissons le Recteur de l’église paroissiale de Verviers du patronat demandé, avec faculté de présenter au poste vacant un homme capable (4) ».

« En témoignage de ces décisions, nous avons fait apposer notre scel aux présentes ».

« En l’an du Seigneur 1447, le 21ème jour de mai ».

Par cette charte, JEAN WALERAN, peut-être un descendant de la famille des ducs de Limbourg, fut donc créé premier recteur et bénéficier de la Chantoire : il conserva cette charge pendant plusieurs années.

Mais nul document ne permet de fixer d’une façon précise le temps qu’il vécut au Val Sainte-Anne.

A une distance de plus de quatre siècles, il faut se résigner souvent à se contenter de renseignements bien incomplets, sans désespérer toutefois d’en combler çà et là quelques lacunes, et de jeter à la fois quelque lumière sur ces points devenus aujourd’hui si obscurs.

L’histoire de notre pays nous apprend qu’après l’expédition des six cents Franchimontois, Charles-le-Téméraire vint ré-pandre les fureurs de sa vengeance sur le marquisat. Les habitants du bourg de Franchimont s’enfuirent à travers bois vers le village de Stembert. Ces malheureux fugitifs, traqués par un ennemi impitoyable, vinrent, dans leur course affolée, passer la Vesdre près de Verviers, et s’arrêtèrent au fond même du vallon de Basse-Crotte.

Suivant une tradition locale, beaucoup d’entre eux se réfugièrent dans le Trou des Sottais ; l’ermite de la Chantoire en cacha quelques-uns dans sa cave et dans sa maison, et il leur procura tous les premiers secours.

Cependant, voilà que tout à coup, sur la colline opposée, apparaissent les soldats de Charles-le-Téméraire. Craignant avec raison que sa retraite ne fût envahie et que ses hôtes ne se vissent découverts, le solitaire leur révéla que le château d’Andrimont avait un souterrain spacieux dont nul ne soupçonnait l’existence et où ils pourraient se réfugier en toute sécurité.

Les Franchimontois s’y firent conduire. Il était temps.

L’ermite était à peine de retour à la Chantoire, qu’il vit les Bourguignons, un instant retardés par le passage de la rivière, s’élancer vers le pieux sanctuaire. Qu’on juge de leur rage de manquer une proie sur laquelle ils n’avaient en effet que trop compté ! Ils n’inquiétèrent cependant pas le gardien de l’ermitage ; ils allèrent porter leurs fureurs sur d’autres points du marquisat.

Mais revenons à la succession des recteurs. Si nous ignorons complètement le temps que dura le ministère de Jean Waleran de Limbourg, du moins pouvons-nous affirmer que dans l’intervalle de 1447 à 1525, il y eu certainement deux desservants de la Chantoire ; JOHAN DE LE COY, que nous rencontrons exerçant ces fonctions en 1449, et JEAN PARIN, en 1484.

En 1525, c’est JEAN JEHEMREUX qui dessert la chapelle.

Voici en effet un acte de cette date qui atteste là-dessus sa qualité : « Sire Jehan Antoine, prêtre, Recteur delle Chantoire, paravant marié, vend sa maison sise en la rualle, qu’il avait acquise, et édifieit de ses deniers, joidant desur à Johan Chawinet et desoz à Lorens Mallechar, la werpit et s’en déshéritat au profit de Willeaume Gadron, son soroge ».

Ce fut très probablement sous son rectorat, en 1528, que « Frère Jean del Chantoire donne pour Dieu et en pure aulmone à la chapelle une pièce d’héritage, haye et trixhe, sur le Bernard-Champ, joindant aux Comoignes ».

En 1555, nous trouvons ANTOINE DE CORTIL dans la charge de recteur ; comme bénéficier, il touchait une rente d’un muid sur le château d’Andrimont. Une décision provoquée dans la suite par certaines réclamations du curé de Stembert, Servais Cleusen, nous apprend que, entre autres cens et rentes, la chapelle avait à cette époque « un muyd d’épeautre foncier, affectant les biens qui furent à Jean Lestienne » et « ce muyd fut payé au vénérable Antoine de Cortil, commençant à la St-André 1555, ensuite aux sieurs curés de Stembert ».

De ce dernier membre de phrase ne pourrait-on pas conclure que le rectorat de la Chantoire resta entre les mains d’Antoine de Cortil jusqu’au démembrement en deux paroisses de la paroisse auparavant unique de Verviers. Rien ne nous paraît s’y opposer. Ce fut donc au mois d’octobre 1591 que Stembert forma avec le hameau de Heusy une nouvelle paroisse, et eut pour premier titulaire DOM ANTHONIN, DE STAVELOT.

Le curé devint ainsi, dès son entrée en charge, détenteur de deux bénéfices ecclésiastiques : celui de l’autel dédié à Sainte–Barbe et érigé dans l’église du village « pour satisfaire aux exigences du concile de Trente au sujet des bénéfices transportés », et celui de la Chantoire. Mais dom Anthonin demanda l’autorisation de dire les messes de fondation dans son église : outre que les revenus de sa cure étaient tout à fait insuffisants, le voyage jusqu’à la chapelle Sainte-Anne offrait, à certaines époques de l’année, beaucoup de désagréments ; souvent même les crues de la Vesdre rendaient le passage en nacelle difficile et périlleux

Au reste, depuis bientôt vingt ans, et peut-être à la suite des ravages des hérétiques , la dot de la Chantoire se trouvait réduite à huit muids, dont trois exclusivement affecté à l’entretien de l’oratoire, les cinq autres seulement étant réservés au prêtre qui venait y célébrer la messe chaque semaine.

L’ordinaire obtempéra volontiers au désir du pasteur de Stembert, sous l’obligation expresse cependant, pour lui et ses successeurs, « d’aller processionnellement à la troisième férie des Rogations, chaque année, chanter la messe en la dite chapelle, aussi les premières vêpres en la veille de la Sainte-Anne, et au jour de la fête de cette sainte, la grand’messe suivie de la prédication et des vêpres » : auquel jour, suivant l’historien que nous transcrivons, il y avait indulgence plénière avec un grand concours de peuple de la ville de Verviers, d’Andrimont et autres lieux circonvoisins.

Sur la foi des vieux manuscrits, on doit admettre que « de tout temps immémorial il y a eu un ou deux ermites faisant leur résidence à la Chantoire ». Cependant notre opinion incline à croire que dans le principe un seul solitaire occupait l’ermitage et que, jusqu’à l’érection de la cure de Stembert, ce solitaire ne fut autre que le desservant lui-même.

M. Renier a pensé comme nous pour Jean Waleran de Limbourg, premier recteur du bénéfice ; et le savant écrivain, malgré ses longues et patientes recherches, n’a découvert pour le XVIème siècle que le nom de Frère Jean, cité dans une pièce de 1528. Mais ce Jean ne ferait-il pas un seul et même personnage avec Jean Antoine Jehemreux dont nous avons parlé plus haut ?

La pénurie de documents historiques nous oblige à risquer cette conjoncture.

A partir du XVIIème siècle, la liste des ermites n’offre plus de lacunes aussi considérables : nous allons le constater.

Au commencement du siècle, Frère Jonathas occupait l’ermitage et y vivait d’aumônes. Un habitant de Foyr, Bertholet des Champs, s’apitoya sur son sort, assez misérable en effet, et adressa, en 1618, une supplique aux magistrats de Jalhay, dans laquelle il disait : « Frère Jonathas s’est rendu ermite à la Chantoire et ; n’ayant pas les moyens de vivre, sinon par l’assistance des bonnes et pieuses gens, il vous prie de lui gratifier quelque petite chose pour son entretenement ; il s’oblige à vous le réciproquer par prière et oraison ».

Quant au recteur dom Anthonin de Stavelot, il mourut le 23 mars 1632, et, selon son désir, « fut enterré dans l’église sous une pierre de taille ». Un de ses neveux, SIRE ANTOINE COLSON, fils de Quelin Colson du Rieu et de Marie de Cortil, recueillit la cure de Stembert et le rectorat de la Chantoire.

Ce fut lui qui admit, en 1639, frère Jean du Mont à occuper l’ermitage ; cinq ans plus tard il lui imposa les conditions suivantes :

« 1° D’appliquer les aumônes recueillies à l’érection d’une maisonnette et à la réparation de la chambre ancienne des ermites dans l’enclos de la chapelle.

  2° De ne prétendre à une autre habitation ni s’adjoindre de compagnon.

  3° De demander chaque année le renouvellement de la présente permission, qui sera accordée s’il vit vertueusement et selon les règlements ».

Le Prince–Evêque de Liège, Ferdinand de Bavière, venait de publier un règlement pour les ermites. Cependant à cette époque, la chapelle de la Chantoire était fort endommagée par les ravages du temps ; le solitaire sollicita, auprès du Vicaire-Général, la permission de le restaurer : l’administration de Stembert s’y opposa on ne sait pourquoi, et le vénérable oratoire fut très sérieusement menacé de périr.

Dans une supplique pressante, le bourgmestre de Stembert demandait « de la laisser telle quelle, de décharger le Recteur de son entretien, de confirmer la translation du bénéfice et ses revenus à l’église de Stembert, permettre d’y rapporter le tout et de disposer des matériaux ».

Par bonheur, il surgit des contestations du côté de Verviers. La chapelle appartenait en effet au territoire paroissial de cette ville et même les habitants offraient de donner 180 florins pour couvrir les frais de réparation. Stembert refusa à l’ermite la permission d’employer une partie de cette somme à se bâtir « une nouvelle cabane », mais en même temps il autorisa la restauration de l’édifice.

Les contestations ne cessèrent qu’en 1651.

Un an plus tard, le 28 juin 1652, le Grand-Vicaire du diocèse admit à l’ermitage, jusqu’à révocation, Lambert de Wegnez ; plus tard, il l’informa qu’à la suite de certaines difficultés il ne pourrait résider à la Chantoire « sans l’agréation du curé de Stembert, auquel il avait laissé la dénomination des ermites à y placer, et puissances de les vêtir, suivant la déclaration et ordonnance faite par écrit le 29 septembre 1651 ».

Frère Lambert fut continué dans sa charge, et l’on nomma, pour desservir la chapelle, le vénérable NOEL DE ZAMORY, du couvent des Croisiers de Liège, et on lui adjoignit comme auxiliaire F. Materne de Verviers.

Deux ans après, Nicolas-Pierre Jacob de Stembert, « jadis artisan de draperie », fut admis momentanément par le Curé et les Magistrats de Verviers à résider « en la demeure extant dans l’enclose de la chapelle, pour un mois afin que durant ce temps il puisse essayer s’il saura vivre solitairement et mener une vie de vrai anachorète ». Il reçut l’habit des mains du gardien des Récollets de Verviers.

On sait que, à dater de l’établissement de ces religieux dans le pays en 1627, les ermites leur avaient été affiliés par les autorités ecclésiastiques.

Une supplique auprès du Grand-Vicaire demanda et obtint la confirmation de l’admission de Frère Jacob. Sans doute cet ermite vécut longtemps au Val Saint-Anne, et il traversa, suivant les apparences, cette crise de grande misère qui suivit la prise du château de Limbourg. C’est son inépuisable charité qui lui mérita l’éloge « d’homme de bien, modeste et digne de recommandation ».

L’année 1682 vit passer trois ermites à la Chantoire :

Frère Pierre Hubin, mort le 28 avril, « chez son beau-frère Preud’homme, en Crapaudrue » et enterré dans l’église des Récollets. Lambert Teupen et Noël Poncelet, admis le 13 mai. Le Frère Noël arrivait de l’ermitage de Sainte Appoline, en Brossy ; il mit tous ses soins à orner et à embellir la chapelle, et c’est vraisemblablement de son temps que furent placées dans le sanctuaire les statues des quatre évangélistes.

Ce saint homme vivait encore au vallon de Basse-Crotte lorsque le Pape Innocent XI, par sa bulle du 25 mars 1685, accorda « à tous ceux qui, contrits, confessés et communiés, visiteront le jour de la Sainte Anne, ou depuis les premières vêpres jusqu’au soleil couchant, l’église ou chapelle de l’hermitage de ce nom, dit alle chantoire, proche Vervy, indulgence plénière en rémission de tous leurs péchés ».

Grâce à cette faveur insigne, les fidèles accoururent plus nombreux au pieux oratoire, et les gens du pays reprirent l’habitude d’y venir passer quelques heures dans la solitude et la prière, particulièrement au moment de poser les actes les plus solennels de leur vie de chrétiens.

Dans une note ajoutée à une copie de la bulle papale, F. Noël remercie humblement MM. du « Magistrat et toute la bourgeoisie de la ville de Verviers qui ont contribué et fait la charité pour l’embellissement de la chapelle ; il priera Dieu pour l’augmentation et conservation de cette ville ».

Mais revenons ici sur quelques points que nous avons dû laisser dans l’ombre. A Noël de Zamory avait succédé, en 1661, le curé LEONARD DEL CHOQ : il était né à Visé, de Jean Del Choq et de Barbe Huyne, et avait été notaire avant d’entrer dans les ordres sacrés.

Avec l’agrément de l’archidiacre du Condroz, il fit échange avec le greffier du conseil des XXII de la cité de Liège, Gérard van Beule, du muid d’épeautre foncier sur Andrimont « lui dû par Simon Herset et Mathieu Bertrand, possesseurs des gages y sujets, à l’encontre de dix fl. bb. de rente, que la maison pastorale devait au sieur van Beule ».

Cette transaction lésait évidemment les droits des futurs bénéficiers.

Par contre, le tenancier fit, en 1680, un héritage d’un certain Closset Hauseur de Sorozée, qui laissa en mourant « huit patacons à la fabrique de Madame sainte Anne à la Chantoire ».

FLORENT DE THIER, homme d’une grande éloquence et plein de charité pour les pauvres, prit possession du rectorat après Léonard Del Choq ; il ne l’occupa pas jusqu’à sa mort, car, dès 1718, nous trouvons déjà le curé Cleusens chargé de ses fonctions.

Ce fut en 1690, alors que FRANCOIS DEL CHOQ desservait momentanément la chapelle, que l’ermite Jacques de Malvaut, collègue de Lambert Teupen, laissa sa place à Charles Wilmart.

« Ils sont à deux ermites », dit une lettre du temps, « mais éloignés l’un de l’autre par leurs petits ménages, appendices et jardinages. Pour le bâtiment de l’ermitage, il y a eu plusieurs fois deux, qui se sont comportés comme de vrais religieux et ermites, parce qu’il y a deux ou trois places avec les cheminées ».

Dans la suite, le Frère Charles contribua de son argent à restaurer les murs délabrés de l’oratoire. Le chroniqueur note soigneusement que le bon ermite rafraîchit ses ouvriers, à raison de deux pots de bière par jour.

Après Nicolas Saive, qui vivait à l’ermitage en 1695, Jean Minet, « célibataire, né à Verviers, désireux de prendre l’habit afin de faire plus sûrement son salut, en abandonnant ce monde pervers pour le reste de ses jours », fut reçu le 22 mars 1702. Il n’y resta qu’un an.

C’est alors que Gilles Noujean, que nous croyons originaire de Wandre, entra à la Chantoire, où il séjourna pendant trente-huit ans. Il eut un grand nombre de compagnons ; nous nous contenterons de les mentionner :

« Michel Le Moine, admis le 23 mars 1706 » ;

« Simon Gheur, de Wandre, parent de Noujean, reçut en 1709, à condition de raccommoder, au cas de besoin, une grande partie du toit, d’assister son confrère en cas de maladie et d’aller une fois par an à confesse à Stembert » ;

« Pascal des Agaux, en 1810 » ;

« Hubert J. Hubin, décédé en 1719 » ;

« Frère Pauquay, ermite en 1719, qui était peut-être fils de Thomas-Jean Pauquay, de Sur-les-Hez » ;

« Joseph Cornet, venu de Brossy en 1726 : il continua de porter le costume particulier à l’ermitage de Ste-Appoline, et alla mourir à Mangombroux » ;

« Pierre-Jacques Doyard, ermite en 1730, suivant un acte réalisé le 30 septembre devant la cour féodale de la seigneurie Delgeugk et la Cour de Baelen, par lequel il cède douze dallers de rente à la chapelle » :

« Il testa « gisant au lit malade » et mourut le lendemain 28 octobre 1730, muni de tous les sacrements » ;

« F. Charles et Peter Cock, qui résidèrent successivement, avant 1736, dans « la maison avec jardin au devant d’jcelle, située proche de la Chantoire » » ;

« Pierre Crosset, admis le 14 juin 1736, par les bourgmestres et le Conseil de la ville de Verviers, « à condition qu’il devra réparer et entretenir la dite maison et jardin à ses propres frais, et qu’en cas le dit Crosset ne se comporteroit pas bien et qu’il y auroit des plaintes à sa charge, il sera libre aux dits sieurs bourgmestres et Conseil de la faire sortir de laditte maison et y mettre un autre à sa place sans qu’il puisse y contredire ni rien prétendre pour tout ce qu’il auroit pu avoir exposé pour réparation de laditte maison » ;

« François-Joseph Gilmar, fils de Pierre et de Anne Nagam, mort le 25 février 1739 » ;

« Pierre le Roux, qui se retira en 1739 à cause de son état de santé, et que remplaça le frère Jean-Paulis ».

Pendant cette longue succession d’ermites, SERVAIS-NICOLAS CLEUSENS était devenu, en 1718, recteur de la Chantoire.

Le nouveau pasteur, préoccupé par les soucis du saint ministère, prit moins à cœur les intérêts du bénéfice ; même il usa de sa qualité de beau-frère du procureur Dufresne, fiscal de l’archidiacre, pour obtenir par son entremise d’être déchargé de ses obligations de recteur. C’est pourquoi on lui accorda en 1724, la faculté « de célébrer, sa vie durant, en son église seulement ».

La Chantoire souffrit de cet accord ; aussi, peu à peu, le nombre des pèlerins diminua, et bientôt le sanctuaire resta désert.

Le curé du village se désintéressa tellement de cette petite chapelle que, pendant sept années, il cessa d’y venir célébrer la fête de sainte Anne.

Dès lors, la Chantoire tomba dans un état de délabrement lamentable. La pierre de l’autel avait été transportée à Stembert ; la cabane du solitaire put à peine continuer à lui servir d’abri, et une maigre prairie qui appartenait à l’ermitage fut vendue pour un daler de rente.

Quand Pierre Hanlet obtint la seconde place vacante à l’ermitage, le Conseil de la Ville de Verviers exigea qu’il entretiendrait convenablement la maisonnette et « qu’en cas le magistrat trouveroit que les services du suppliant pourroient être utiles à l’hôpital des malades, il sera obligé de les y venir rendre à la première semonce ».

Cependant l’ermite Jean-Paulis fit les plus vives instances pour qu’on réparât du moins le toit de la chapelle. Ce fut peine inutile : NICOLAS NEURAY, devenu depuis quelque temps curé de Stembert et recteur du bénéfice, crut avoir des raisons de refuser.

Frère Jean quitta alors le Val Ste-Anne et alla s’établir dans la solitude du Rouheid, à Mangombroux. C’est là qu’il mourut le 2 janvier 1763. Le lendemain, Stembert lui fit des obsèques solennelles, et on l’enterra dans le cimetière du village.

En 1749, le curé Neuray adressa des suppliques au lieutenant-gouverneur, au consistoire et au prince-évêque, dans lesquelles il sollicitait l’autorisation de démolir la chapelle. Cette requête fut heureusement rejetée. A dire vrai, la Chantoire tombait en ruines, et déjà les deux solitaires avaient abandonné l’ermitage.

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Le recteur « crut devoir retirer les ornements du culte, le rétable peint sur toile, les deux autres tableaux de même et la corde de la cloche pour les lier ». Il alla même jusqu’à demander au prône, à ses paroissiens, de l’accompagner et « de l’assister à reprendre la cloche et autres effets ». Mais la magistrature de Stembert s’opposa à ce dessein.

Voici d’ailleurs ce qui sauva le pieux sanctuaire d’une destruction complète. Des gens mal intentionnés, profitant de l’abandon de l’édifice, vinrent en enlever les portes, les verrières et toute la boiserie, et commencèrent à le démolir pour s’en approprier les matériaux. Devant cet état de choses, les débiteurs de rente, la plupart limbourgeois, refusèrent de les payer. Il était temps d’aviser.

Un certain Nicolas Nottay, au nom de la commune de Stembert, adressa une supplique au grand-vicaire pour lui exposer toute la situation. Le vicaire-général s’en émut : il fit aussitôt de vives représentations au curé à ce sujet et le mit en demeure de continuer le service religieux à la Chantoire, selon les anciens usages. Il fallut obéir.

La Providence voulut en outre que précisément sur ces entrefaites il se présentât au prince-évêque de Liège un jeune homme, robuste et dévoué, qui, se sentant appelé à la vie solitaire, avait conçu le pieux dessein de rétablir la Chantoire dans son antique splendeur.

Il se nommait Thomas Pirotte et était originaire de Wegnez, alors paroisse de Soiron. Voici ce que nous apprend à son sujet la lettre d’admission du curé Neuray de Stembert :

« Thomas est ermite du tiers-ordre de Saint-François, âgé de vingt-cinq ans, peu moins, de la hauteur de cinq pieds et demi, cheveux et barbe blonde, la lèvre du bas fendue au milieu, de corpulence médiocre. Le 25 février, il a obtenu de son Exc. le cardinal de Bavière, prince-évêque de Liège, la permission de venir demeurer à la Chantoire, à condition qu’il rétablisse la place de cette solitude où il a demandé de pouvoir demeurer, me priant de le recommander à la charité des fidèles, l’étant aussi par M. Jeanjot, curé de Soiron, comme homme de vie irréprochable. J’ai cru devoir l’admettre au lieu dit de Chantoire, où il y a eu jadis une chapelle en l’honneur de Sainte-Anne, aujourd’hui toute détruite à la réserve des murailles et d’une partie du toit. C’est pourquoi je prie tous ceux à qui il s’adressera de lui donner toute aide dans le pieux dessein qu’il a conçu de rétablir le dit lieu, à quelle fin il s’en va de côté et d’autre pour trouver matériaux, argent ou ouvriers qui veuillent l’assister dans son pieux désir, lequel étant exécuté, il aura soin de prier pour ses bienfaiteurs. Fait à Stembert le 24 mars 1755. N.-J. Neuray ».

Frère Thomas relava donc le petit oratoire et le remit dans l’état où nos pères l’ont connu au commencement du siècle. Un compagnon de sa vie de retraite et de pénitence, frère Jean Barthélemy, vint du reste bientôt le seconder dans ses plans de restauration, comme nous le lisons dans l’Apostille ajoutée à la supplique. Voici le texte de cette pièce :

« Messieurs du Magistrat faisant favorable attention à la présente, consente que le suppléant fasse rebâtir le petit hermitage, et jouisse du terrain qu’occupoit en son vivant frère Charles, situé dans les communes de la ville, en lieu dit La Chantoire, pour après sa mort retourner en tel état que le tout se retrouvera à la disposition du magistrat, à qui le dit terrain appartient, à l’exclusion de tous autres. Fait au conseil de ville, le 23 juin 1755 par ordce C.E. Hanster ».

C’est tout ce que nous savons concernant Frère Jean ; mais il parait certain que cet ermite ne séjourna pas longtemps à la Chantoire, car Pierre Puissant, qui devint après lui le compagnon du frère Thomas, mourait déjà le 5 avril 1759.

Ce dernier fut enseveli auprès de la chapelle, à l’angle proche de la porte qui regarde la forêt.

JEAN FRANCOIS RENCHARD avait occupé le rectorat pendant deux ans, et en avait laissé la succession au nouveau pasteur de Stembert, PIERRE-AUGUSTE MARCY.

Quant à l’ermite F. Thomas Pirotte, il eut la consolation de voir, sous la bienfaisante influence de sa piété, les fidèles peu à peu revenir en grand nombre au Val Ste-Anne, et, comme son dévoûment et l’intégrité de sa vie le rendaient recommandable aux pèlerins, il reçut souvent de leur charité d’abondantes aumônes en argent et en nature.

Ce saint homme s’endormit dans le seigneur le 28 avril 1777, et fut enterré dans le cimetière du village de Stembert.

Huit jours plus tard, un vieillard du nom de Mathieu Chantre, originaire de Houffalize, vint s’installer à l’ermitage. En l’admettant, le Grand-Vicaire de Liège ne lui fit d’abord recommandation que d’appliquer à l’ornementation de l’autel et aux réparations nécessaires toutes les aumônes qu’on verserait dans le tronc et de prêcher la piété aux fidèles par sa présence assidue à tous les offices de la paroisse.

Dieu lui envoya, en 1780, un compagnon plus jeune, Thomas Nagel, d’Eupen ; celui-ci reçut pour mission particulière « de veiller à la garde et à l’entretien de la chapelle avec Frère Mathieu, d’assister aux offices de Stembert, aussi à l’Adoration du T.-S. Sacrement pendant les prières de XL heures, à l’Adoration Perpétuelle les 23 et 24 août, de même que le Jeudi-Saint, surtout aux heures où le peuple est moins fréquent ».

On sait hélas ! L’orage qui grondait à cette époque. La révolution vint troubler la principauté de Liège ; elle porta ses ravages impies jusque dans Verviers. Chose étrange ! La Chantoire ne se vit point profanée, et, à part un procès dont nous parlerons plus loin et qui les dispersa quelque temps, ses pieux gardiens traversèrent en paix cette période agitée.

Cependant, un an après la mort de F. Mathieu, certains républicains d’Andrimont préparèrent une fête pour célébrer la souveraineté du peuple ! A cette occasion, ordre fut donné de « biffer avec de la mastique » les armoiries de la porte du cimetière, et d’enlever les croix de la chapelle en Brossyet de la Chantoire. L’exécution sacrilège eut lieu malgré les protestations de la population entière.

G.-G. BOTTAR, religieux de l’ancienne abbaye de Stavelot, remplaça, en 1800, le curé Neuray, et recueillit avec la cure de Stembert le titre de recteur de la chapelle.

Nous disons le titre, car, déjà depuis 1794, un prêtre rétribué par les habitants des environs remplissait de fait les fonctions de recteur, et allait tous les dimanches dire la messe au Val Sainte-Anne. Olivier Schafs, ex-bénéficier et chanoine de Tongres, et après lui Nicolas Bouha, enfants l’un et l’autre de Stembert, furent chargés de ce ministère.

Cependant un architecte liégeois venait de se porter acquéreur, dans une vente subreptice, de « la chapelle avec 42 verges de terrain à l’entour, le tout pour dix-huit louis, tous frais compris. »

Par cet achat, l’acquéreur avait compté devenir du même coup bénéficier des rentes. Trompé dans ses calculs, il voulut du moins par esprit de dépit, obliger le curé de Stembert à revenir célébrer à la Chantoire, comme par le passé, l’office divin aux dimanches et jours de fête.

Sur le refus du pasteur, il courut faire son rapport à l’évêque, et accusa le curé Bottar de s’approprier injustement les fondations.

Andrimont et Stembert défendirent les intérêts de l’oratoire. Une pétition au Préfet du département de l’Ourthe rappelle que « ce lieu a été réservé au culte par le ci-devant agent d’Andrimont, dans le courant de 1798 ; on y célèbre la messe tous les dimanches et fêtes pour la facilité des habitants circonvoisins éloignés de leurs paroissiales, lesquels l’entretiennent à leurs frais, ainsi que le prêtre officiant et tout ce qui intéresse l’exercice du culte, conformément à la loi du 7 vendémiaire an IV ».

Le maire de Stembert apostilla ces observations et Nicolas Drossard, bourgmestre d’Andrimont, les ratifia en ces termes : « La Chantoire fait à présent partie de ma mairie, elle est considérée abusivement comme bien national et sa vente doit être regardée comme illégale, n’ayant point reçu ses affiches. 5 fructidor an IX ».

Les contestations se poursuivaient encore en 1804 ; personne ne cédait de ses droits, ni les communes, ni la paroisse, ni le propriétaire. Désireux d’en finir l’évêque de Liège s’en remit de l’arrangement de l’affaire au curé de Limbourg. Celui-ci autorisa le curé d’Andrimont à fermer la chapelle de l’ermitage Sainte-Anne, situé dans sa juridiction.

Le recteur Bottar protesta, et revendiqua ses droits sur la Chantoire, « où il avait administré les sacrements et fait la sépulture des ermites ». Ce fut en vain.

D’autre part, l’acquéreur liégeois, désespérant d’arriver jamais à ses fins, abandonna la Chantoire.

Il l’avait déjà en partie aménagée à son usage : une chambre s’avançait maintenant dans l’intérieur de l’oratoire, et c’est à peine si cent personnes pouvaient encore trouver place. Cependant, au cours de ces événements, une petite cité ouvrière s’était établie autour de la filature de la Basse-Crotte.

Pour faciliter aux travailleurs et à leurs familles l’accomplissement des devoirs religieux, Mgr. l’évêque chargea, comme nous l’avons dit plus haut, le Révérend Nicolas Bouha, qui habitait paroisse de Stembert, d’aller dire sa messe du dimanche à la chapelle Sainte-Anne.

Le petit oratoire se vit donc rouvert, aux applaudissements des habitants de Verviers.

Mais en 1810, un incendie détruisit la fabrique et dispersa le groupe laborieux, et le service du culte recommença, à ne plus se faire régulièrement.

A cette époque, les ermites, un moment dispersés, reparurent, Frère Hubin de Hodimont, Michel Bloucteur, et plus tard Nicolas Denis vinrent successivement occuper l’ermitage.

Le souvenir des deux derniers solitaires du Val Sainte-Anne, Lambert de Battice de Hodimont et Nicolas De Saive de Dison, est assez rapproché de nous pour n’avoir pas encore péri. Les vieillards se plaisent à raconter que Frère Lambert était gai, pieux et très hospitalier. Il se faisait une joie d’aider les gens du voisinage dans leurs plus rudes travaux, et il se tenait nuit et jour à leur service.

Un de ses amis, qui habitait dans la vallée, allait quelquefois passer la soirée à l’ermitage. Il était reçu d’ordinaire dans la chambre abritée sous le toit de la chapelle : c’était une place très simple, pauvrement meublée, ornée de quelques images de saints ; on y voyait pour tout luxe une de ces antiques horloges à gaîne qui ne sont plus guère de mode à présent.

Devant les chenêts, F. Lambert racontait à son hôte certaines aventures dont il avait été le héros. Le diable y intervient assez souvent : tantôt, métamorphosé en animal, il attend l’ermite au passage de l’eau et lui cause des terreurs étranges ; tantôt, prenant la forme humaine, il vient surtout par les nuits d’orage demander l’hospitalité au solitaire et mettre sa vertu à l’épreuve ; d’autres fois, il détruit ses provisions, trouble son sommeil, obstrue les chemins de la colline, bref, invente chaque jour quelque nouvelle contrariété.

La tradition, en nous transmettant le récit de ces aventures que le bon frère contait pour égayer la veillée et qui s’expliquent d’une façon très naturelle, les aura évidemment revêtues du caractère merveilleux de la légende. C’est le motif qui nous détermine à ne pas en rapporter ici tout le détail.

Voici un trait charmant de la naïve bonté du vieil ermite.

Un jour d’été, sœurs Claire et Thérèse avaient conduit les orphelines de Verviers dans les bois de la Chantoire ; ces bonnes religieuses demandèrent à visiter avec leurs pensionnaires la chapelle et l’ermitage. F. Lambert s’empressa de les satisfaire ; avec sa bonhomie habituelle, il leur montra tous les recoins de sa demeure ; puis, au moment du départ, en cherchant bien dans ses pauvres paniers, il y trouva à sa grande joie, de quoi procurer aux petites filles quelques rafraîchissements et un peu de friandises. Les deux religieuses lui exprimèrent en riant leur surprise de ce que lui, si pauvre, croyait-on, disposât pourtant dans sa misère de choses si délicates !

« A moi, repartit-il, le pain et l’eau suffisent, mais Dieu est si bon : il m’envoie du superflu, et je le réserve à mes visiteurs. Votre venue me réjouit vivement ; adieu ! Quand ce sera le jour de l’an, j’apporterai à ces chères enfants une nouvelle part de mes petits trésors ».

La troupe joyeuse des enfants battit des mains, et partit emportant la promesse.

A l’approche du nouvel an, les orphelines, impatientes et curieuses attendirent l’arrivée du bon Frère Lambert.

Mais, hélas ! L’hiver avait été rude, les pèlerins n’accouraient plus que rarement à la Chantoire, et le bahut que l’été avait rempli restait vide pendant l’arrière-saison … !

F. Lambert ne savait à quoi se résoudre. Soudain des flocons de neige se mettent à flotter dans l’air ; l’ermite prend son parti : il recueille la manne inespérée, en forme trois gros boulets, les place dans un panier bien clos, et le voilà qui descend à la ville.

Dès que F. Lambert parut dans le préau de l’orphelinat, toutes les petites friandes l’entourèrent en poussant des cris de joie et d’espoir. Le pauvre ermite se sentit pour la première fois désolé de sa misère. Il ouvrit lentement et sans mot dire, son panier, et laissa apparaître aux petits regards avides les trois éloquents boulets de neige ! Ô déception ! Il y eut un moment de silence ; mais la gaîté, plus bruyante et plus folle eut bientôt repris son cours …

Longtemps après cette visite, on parlait encore, à l’orphelinat, de la pauvreté et de la charité ingénieuse du bon vieillard ; et, dans la suite, quand une pensionnaire éprouvait quelque déception, ses compagnes se disaient malicieusement entre elles : « C’est l’novèll’an dâ fré Lambièt ».

Voilà comment les gardiens de la Chantoire se rendirent chers aux habitants de Verviers et de ses environs.

Le dernier de ces ermites, Frère Nicolas De Saive, ancien ouvrier tondeur, venait à la ville une fois par mois, pour recueillir des aumônes. On ne le rebutait nulle part, et, en retour de l’obole reçue, il offrait un petit bouquet de fleurs artificielles qu’il avait lui-même artistement disposées. Quand les enfants voyaient arriver l’ermite (on le reconnaissait de loin à sa soutanelle), ils couraient à sa rencontre et lui demandaient à deux genoux la bénédiction.

F. Nicolas allait mendier aussi à Stembert, d’où il revenait souvent chargé de provisions. Faut-il rappeler le curieux usage qu’il faisait des coques d’œufs ? Il les teignait de diverses couleurs, et les arrangeait en guirlandes, qu’il suspendait à la voûte du sanctuaire. Nicolas de Saive ne se retira qu’en 1826, à la suite des événements qui seront rapportés plus loin.

La Chantoire, on le sait, resta jusqu’en 1826 aussi lieu de pèlerinage très fréquenté : c’est ainsi que chaque dimanche du carême, le peuple s’y portait en foule l’après-midi, pour réciter les litanies et chanter la Passion. Le Jeudi-Saint, on accourait au sermon de la Passion ; le Vendredi-Saint, l’affluence des fidèles était plus considérable : tous ensemble répétaient un cantique populaire sur un ton mineur d’une touchante mélancolie. Nous avons en vain essayé de reconstituer toute cette complainte sacrée : à peine avons-nous eu la bonne fortune de reproduire une strophe que nous reproduisons, et de ressaisir de ci de là quelques lambeaux des autres strophes, trop incomplets pour trouver place ici :

Pâque a donné l’occasion,

A Judas, le premier des traîtres,

De consommer la trahison

Avec que les princes des prêtres ;

Et pour trente deniers d’argent,

Vendit le sang de l’innocent !

Plus tard, après la ruine de l’oratoire, ce même cantique de la Passion continua d’être redit pendant quelques années encore, le soir en carême, devant les crucifix de Verviers.

La coutume établie à la fin du XVIème siècle, d’aller en procession à la Chantoire, fut respectée jusqu’en 1826. On a aussi continué de célébrer une messe solennelle en la fête de Sainte-Anne, au milieu d’une nombreuse assistance.

Bien des pèlerins à cette époque profitaient de ces saintes circonstances pour accomplir un vœu ; et souvent on en vit suivre à genoux, en guise d’expiation, les sentiers rocailleux de la colline, ou gravir ses flancs, pieds nus et la tête chargée de lourds fardeaux. Malheureusement, du concours des visiteurs devaient naître des abus : La Chantoire devint à la fin un lieu de rendez-vous.

On sait que souvent les meilleures institutions, hélas ! croulent par les abus de quelques-uns. Pour empêcher ces désordres, le curé de Stembert, JEAN-FRANCOIS BARTHE-LEMY JAMINET, dernier recteur du bénéfice, usa de son influence sur le propriétaire pour le déterminer à empêcher, au moins momentanément, l’accès de la Chantoire.

C’était un moyen facile et sûr de supprimer tout désordre ; on préféra, pour certaines raisons que nous ne prétendons point juger, une mesure absolument radicale.

En 1826, la chapelle se vit donc dépouillée de ses ornements, de sa toiture et de son joli campanile.

Il semble que le peuple, attaché avant tout à ses traditions, n’ait vu dans cette mesure qu’une œuvre de destruction vulgaire et inutile. Ce furent des réclamations, des murmures, des oppositions de toute sorte.

Prétendant traduire le sentiment populaire, un collégien indigné traça sur les murs de l’oratoire démantelé ces trois vers latins, assez méchants de facture et de sens :

Surgat heremitae, surgat mox umbra quiescens,

Hosque eversores baculi ictu evertat in undas;

Seu potius …secum detrahat in umbras !

« Debout, ermite, dont l’ombre repose ici; debout, et ton bâton précipite dans les flots de la Vesdre les démolisseurs de ton domaine ; ou plutôt, entraîne avec toi … au fond des abmes sombres ! »

Le croira-t-on ? De nos jours il ne manque pas de gens naïfs pour affirmer que l’événement vérifia la prédiction du poète… Tels sont les souvenirs épars qui se rattachent à la Chantoire et aux vicissitudes de son existence. Ce n’est certes pas sans regret que nous quittons à présent les ruines de notre poétique oratoire. Ce n’est pas non plus sans quelque sentiment de tristesse que nous voyons les derniers vestiges s’effacer sous la main du temps. Bientôt le voyageur qui traversera le Val Sainte-Anne ne soupçonnera seulement pas que, jadis, il exista là-haut, sur la crête des rocs, une chapelle et un ermitage célèbre …

Nous sommes-nous donc trompés en espérant que les amis de nos vieilles gloires locales seraient heureux de trouver dans ces pages, à défaut d’une histoire suivie, quelques souvenirs au moins du pieux monument qui n’est plus ?

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